Quartier historique d’immigration, Belleville accueille toujours une importante communauté juive et arabe. L’épicerie Sabbah s’adapte à la demande depuis 2001.
Dans les allées étroites de l’épicerie Sabbah, les étagères débordent de spécialités tunisiennes, marocaines ou encore libanaises. C’est à peine si on distingue son gérant, assis derrière la caisse, caché par les sachets de pistaches, les boîtes de thon, les pains turcs et les boîtes de charbon à chicha.
Ce patron, c’est Ibo. L’homme de 37 ans, né en Turquie et arrivé à Paris à l’adolescence, a rejoint Sabbah en 2010. « L’épicerie a ouvert en 2001. Au départ, on faisait de tout. Et puis on a commencé à vendre des produits halals et cashers, parce que dans le quartier, y’a beaucoup d’Arabes et de Juifs », explique-t-il en sirotant son café. À l’époque, Sabbah est la première épicerie à offrir ce choix. Son succès lui a permis progressivement d’ouvrir d’autres enseignes dans Paris.
Aujourd’hui, c’est jour de marché sur le boulevard de Belleville, en face de l’épicerie. Les clients défilent dans la boutique, le chariot déjà rempli de fruits et de légumes. Ibo discute en français avec certains, en arabe avec d’autres. Un petit chat blanc se frotte affectueusement à leurs jambes. « C’est combien, les boîtes de thon à l’huile d’olive ? » lance un homme en qamis, vêtement musulman. « Cinq euros les cinq », répond un employé qui fait de la mise en rayon.
« Il y a des gens qui viennent ici depuis plus de dix ans. C’est devenu un coin de rencontre »
Claudine passe en caisse avec deux sachets de pistache. La soixantaine, elle vit dans le quartier depuis trente ans et fréquente le commerce depuis des années. Elle tutoie volontiers le gérant, qu’elle connaît bien : « Qui m’a recommandé cette adresse, déjà ? Ah, oui, c’est le bar d’en face ! Aux Folies aussi, on m’a parlé de toi. »
Sabbah s’est fait un nom dans le quartier et même au-delà. « Il y a des gens qui viennent ici depuis plus de dix ans. C’est devenu un coin de rencontre », fanfaronne son gérant avant d’ajouter : « On a même des clients qui font une heure de route pour venir ! »
C’est le cas d’Elie, cinquantenaire grisonnant venu acheter des gombos et de la harissa. « Je viens du Ve arrondissement. Je prends trois bus pour venir ici », compte-t-il du bout des doigts. Dans la queue derrière lui, Sihem, une autre habituée, renchérit. « Moi, j’habite dans le XIVe. Mais je viens ici parce que les produits halals sont moins chers », explique la jeune femme en rangeant un paquet de semoule dans son chariot.
Une épicerie au carrefour des communautés
Vendre à la fois des produits halals et cashers, ça n’étonne pas les clients. « Belleville est un quartier d’immigration. Il y a eu beaucoup de Juifs, puis d’Arabes, et maintenant des Chinois », explique Sultan, client fidèle qui vit ici depuis les années soixante. « Moi, je suis juif. Je viens ici pour acheter du vin casher et des produits orientaux. » Dans ses mains, un pot d’harissa et des plats typiques tunisiens, la pkaïla et la mloukhiya. « La mloukhiya, on appelle ça le plat qui ne se finit jamais. Car quand tu le sauces avec du pain, tu as l’impression de ne jamais en finir ! » s’amuse-t-il.
Ces dernières années, la clientèle de l’épicerie a un peu évolué, fait remarquer Ibo. « Aujourd’hui à Belleville, il y a de plus en plus de bobos. Du coup, on a ouvert une épicerie juste pour eux en face ! », plaisante-t-il en pointant du doigt l’autre côté du boulevard.
Zoé Multeau