Comédienne, autrice, metteuse en scène, Sylvie Haggaï se sert de son art pour lier les habitants de la Goutte d’Or entre eux et recueillir leurs doléances.
« Quand une compagnie de théâtre s’invite chez vous, il se passe toujours quelque chose ! » C’est la certitude de Sylvie Haggaï, une femme de théâtre énergique qui a monté le projet novateur de jouer dans les logements sociaux de la Goutte d’Or. Elle vit dans ce quartier populaire du XVIIIe arrondissement de Paris depuis plus de 30 ans et y a implanté sa compagnie, Gaby Sourire, en 2004.
Dans l’ambiance tamisée de son local, non loin du marché Barbès, elle raconte de sa voix grave et voilée ses débuts au théâtre. Elle conserve d’heureux souvenirs de ses premiers pas dans la maison de quartier de Bezons, sa ville d’enfance du Val d’Oise. Et c’est avec une certaine fierté qu’elle se remémore les ateliers qu’elle a animés, dès 19 ans, dans l’internat de Voréal. Sylvie Haggaï garde de cette expérience un profond goût de la transmission. « J’adore faire des baptêmes de théâtre », sourit la comédienne derrière ses grandes lunettes rouges.
Après avoir parfait sa formation dans plusieurs théâtres d’Île-de-France, elle s’installe à la Goutte d’Or dans les années 1990 avec l’homme qui deviendra son mari. Très vite, elle cherche à créer un atelier, investit un squat rue Myrha et collabore avec l’association des enfants de la Goutte d’Or. Mais la jeune femme veut aller plus loin et décide de prendre en charge la programmation du restaurant culturel : L’Olympic Café. Elle y organise des cafés littéraires, des cabarets, des lectures grand public et tisse des liens avec tous les lieux susceptibles d’accueillir des évènements culturels comme le Lavoir Moderne Parisien, l’incontournable théâtre du quartier.
« Faire sortir le Théâtre du théâtre »
Sylvie Haggaï insiste sur les plus de 80 événements qu’elle a pu organiser. Grâce à eux, elle fait la rencontre de Gwennaëlle Roulleau, une jeune femme aussi investie qu’elle dans la vie de Barbès. Ensemble, elles fondent Gaby Sourire. La fierté illumine son visage quand elle évoque la première pièce qu’elles ont montée dans la rue : Dans la solitude des champs de cotons de Bernard-Marie Koltès. « L’idée de jouer dehors s’est imposée d’elle-même, le quartier s’y prête. » Encore aujourd’hui, la troupe donne rendez-vous aux spectateurs à la tombée de la nuit pour des représentations déambulatoires. « Les passants s’arrêtent, sont surpris et restent avec nous. C’est une façon d’aller chercher les gens qui ne seraient pas venus », se réjouit-elle.
La comédienne veut « faire sortir le théâtre du théâtre ». Avec l’aide du bailleur social de la ville de Paris, elle obtient de pouvoir jouer directement dans les cours d’immeuble, les appartements et les jardins partagés… En attendant le gardien, écrite pour l’occasion, brosse le portrait d’une famille et sert de prétexte pour rappeler aux locataires leur droits et leurs obligations. L’enjeu est aussi de recueillir les problèmes qu’ils rencontrent dans la copropriété.
Tout est prétexte pour se rencontrer
Pour autant, Sylvie Haggaï, refuse l’expression de « théâtre social », qui renverrait à l’idée d’un « sous-théâtre ». « Je revendique l’exigence, je veux faire le même théâtre pour tous. » C’est pourquoi elle s’attache à jouer des classiques et notamment du Shakespeare, qu’elle considère comme grand public. « On m’a dit que ça ne marcherait pas, eh bien si, ça marche ! »
Ces pièces sont surtout un prétexte à la rencontre. « Ça ne m’intéresse pas de jouer et de repartir tout de suite. » La mission n’est pas facile. Les habitants ont parfois du mal à comprendre pourquoi l’on vient chez eux. Cela demande un travail en amont pour que chacun se défasse de ses a priori. Après les spectacles, elle organise des goûters, des temps d’échange et des séances photo pour nouer la confiance. « Je veux que les gens gardent en eux quelque chose longtemps après le moment du spectacle. »
Marie Leveugle