Référente sociale à la Gare du Nord, cette médiatrice arpente les quais et les couloirs pour recréer du lien avec les personnes sans domicile fixe.
Le bureau d’Odile Girardière, logé tout au bout de la voie 2, donne une vue imprenable sur les toits de la Gare du Nord. La femme de 56 ans – dont près de 25 ans passés à la SNCF – en connaît d’ailleurs tous les recoins, elle qui maraude quotidiennement pour venir en aide aux personnes sans-abri ayant trouvé refuge à la gare. « Quand je suis au bureau, c’est seulement pour les réunions. Mais la plupart de mon temps, je le passe dehors », explique-t-elle.
Depuis 2017, Odile Girardière travaille comme référente sociale dans les gares du nord-est parisien. En France, elle est la seule à exercer ce métier, avec son homologue dans le sud de Paris. Munie de son carnet, elle sillonne quais, halls, parkings et autres galeries commerçantes et part à la rencontre des invisibles de la Gare du Nord pour répondre au mieux à leurs besoins : leur proposer un café, les orienter vers une solution d’hébergement, un service de soin ou un lieu où prendre une douche.
« Je n’ai pas peur d’aller vers les autres »
Ces « gueules cassées » comme elle les appelle, Odile n’avait jamais travaillé à leur contact avant de prendre son poste. « Au tout début de ma carrière ici, je vendais des cartes orange et des tickets de métro. » Odile travaille plusieurs années en tant que responsable de boutiques SNCF dans Paris. A mesure que ces points de vente ferment, elle est contrainte de changer de boulot pour un poste d’animatrice qualité. « Et puis j’ai rencontré Hervé, l’ancien référent social. À l’époque, je ne savais même pas qu’il existait un travail comme celui-là dans l’entreprise », raconte-t-elle en époussetant la table d’un revers de main.
Alors, sans formation, ni bagage bénévole particulier, la quinquagénaire se lance dans l’aventure lorsque Hervé part à la retraite. Rien d’effrayant pour Odile : « J’ai toujours eu le contact humain très facile. Je n’ai pas peur d’aller vers les autres, et c’est la même chose quand j’ai des personnes en situation d’extrême précarité en face de moi. »
De ses yeux bleus clairs, Odile Girardière perce à jour l’histoire des gens qu’elle rencontre. Étudiants, petits retraités, drogués… Chaque profil a un parcours cabossé. Avant d’espérer les aider à sortir de la rue, Odile s’efforce de retracer leur vie. « C’est la vertu du temps long », précise-t-elle. Pour établir un lien de confiance avec une personne sans-abri, il faut souvent des années. »
L’inquiétude des JO 2024
Un travail de longue haleine qui réserve aussi son lot de frustration. Si Odile veut garder une certaine distance entre sa vie et son métier, il est parfois difficile de ne pas s’attacher. Jean-Pierre en est le parfait exemple. Après 50 ans à vivre dehors, cet homme de 67 ans à l’allure de vieillard quitte finalement le secteur Gare du Nord-Gare de l’Est où il avait installé son abri de fortune pour rejoindre un Ehpad en Seine-et-Marne. « C’était mon chouchou, s’émeut Odile en montrant une photo de lui dans un article de Libération. A son départ, j’étais toujours en contact avec lui mais maintenant j’essaie de m’éloigner un peu. Il ne faut pas qu’on lui remette la gare en tête. »
Au milieu de toutes ces histoires, et malgré l’important maillage social qu’elle a tissé avec les associations et les deux policiers de la brigade des réseaux ferrés, Odile s’insurge devant le manque de moyens attribués aux exclus. « Le Samu social est saturé. Pour qu’une femme enceinte soit prise en charge, il faut qu’elle soit à son huitième mois de grossesse », s’indigne-t-elle. Une situation qui pourrait empirer avec les Jeux olympiques de Paris qui débutent en juillet. « On me fait comprendre que la gare doit être « propre » à l’arrivée des touristes, ce qui implique qu’on envoie les sans-abris plus loin, autour de Paris », observe-t-elle, impuissante.
Un peu cachée sous sa frange, Odile n’a pourtant pas peur de dire ce qu’elle pense. Régulièrement, des collègues l’appellent parce qu’un sans-abri traîne dans le hall de gare. Odile leur répond : « Il ne dérange personne ? Alors non, je ne viendrai pas. »
Marine Evain