Moustapha, petite main de la couture aux grandes ambitions

Coincé entre deux restaurants indiens du passage Brady, un atelier de couture croule sous les jeans et les boubous. À 28 ans, Moustapha est l’un des tailleurs de la boutique. Un métier qu’il chérit plus que tout.

Moustapha travaille depuis deux ans dans l’atelier situé passage Brady. Photo : Solène Alifat

Assis face à sa machine à coudre, Moustapha siffle l’air de rumba congolaise que crache l’enceinte posée à côté de sa table de travail. « C’est du Fally Ipupa (un chanteur congolais, ndlr). Ça me donne de la force pour bosser », souligne-t-il en souriant. L’homme, né à Abidjan en Côte d’Ivoire, est l’un des trois tailleurs de l’atelier de couture situé en plein cœur de Strasbourg Saint-Denis.

Tailleur, retoucheur, couturier, dur de qualifier ce véritable touche-à-tout. Lui-même ne veut pas qu’on lui mette d’étiquette. « Je peux retoucher une simple chemise comme faire du sur-mesure sur un costume ou pour un pagne », assure-t-il. Dans l’étroite boutique, les étagères croulent sous les jeans, les chemises de marques et le tissu wax africain. « Je n’ai pas de préférences de style, ni d’habits. Tout ce que j’aime, c’est coudre », indique-t-il en découpant d’un geste soigné un bout de tissu.

Un tailleur à la croisée des mondes

S’il assure ne pas avoir de références dans le milieu, Moustapha doit tout à son père. « C’était un grand styliste en Côte d’Ivoire, c’est lui qui m’a tout appris », confie le jeune homme. Dès l’âge de 11 ans, il l’installe devant une machine à coudre. Il n’a plus quitté son siège depuis, et ce même quand il est arrivé en France à l’âge de 20 ans. Une véritable histoire d’amour s’est tissé avec le métier. « La couture, c’est comme une femme, tu lui montres que tu l’aimes, et elle t’aime en retour. Si ton amour est vraiment sincère, c’est bon ! »

À sa venue dans l’Hexagone, il se retrouve plongé dans le quartier de Strasbourg Saint-Denis, à l’intersection de différents styles. « C’est ici que tout se passe », proclame-t-il. Une partie de sa clientèle est issue de la « communauté », comme Moustapha se plaît à le dire, pour parler des membres de la diaspora ouest-africaine. « Eux, ce sont souvent des boubous, des pagnes traditionnels. Mais j’ai aussi des blancs avec du tissu wax ou des vêtements simples. Des jeunes, des vieux… Tout le monde vient me voir. »

Un succès qui lui donne des idées

Grâce à sa clientèle cosmopolite, Moustapha connaît un certain succès. Une réussite qui détonne au regard de la boutique. L’atelier aux murs décrépis n’a pas d’enseigne et impossible d’en trouver trace sur Internet. L’une de ses clés, c’est la rapidité : « Je peux faire environ 30 à 40 vêtements par jour. Je suis connu dans l’atelier pour ça. » Son patron l’admet lui aussi. Des trois tailleurs qu’il emploie, Moustapha est celui qui draine le plus de clients.

S’il assure ne pas connaître la concurrence, son succès ne s’est pas fait en un jour. Son mantra, c’est le « tester-rester ». « Un client va venir ici parce que son retoucheur n’est pas disponible. Moi, je suis toujours là ! Je m’occupe de ses vêtements et après, il ne me lâche plus », se vante-t-il.

Il séduit aussi par sa gaieté. Une femme rentre dans la boutique. Moustapha l’accueille tout sourire, en argot ivoirien :  « Akwaba la go, ça va ? » « Comment ça va, la star ? », lui répond-elle. Considéré comme une célébrité par ses clients, le jeune homme affirme avoir également affaire avec de nombreuses stars africaines qui lui font envoyer leur garde-robe. Il participe actuellement à la préparation de la nouvelle collection d’une célèbre marque ivoirienne.

Sa réussite nourrit ses ambitions. « J’aimerais bien travailler dans le luxe plus tard », lâche-t-il, un regard gêné vers son patron assis face à lui. S’il a des rêves plein la tête, Moustapha reste réaliste, « C’est encore beaucoup de travail », souffle-t-il, la main plongée dans une pile de jeans à retoucher.

Willem Foloppe