Michel Antoine, pour le meilleur des mondes

À 70 ans, Michel Antoine, président de l’association Solidarités Saint-Bernard, consacre sa retraite aux plus démunis à l’église Saint-Bernard-de-la-Chapelle dans le quartier de la Goutte-d’Or, et ailleurs.

Michel Antoine, de l’association Solidarités Saint-Bernard, défend une aide pour tous. ©Ancelin Faure

Nous avons rendez-vous dans un café place de Clichy, à Paris. À 17 h, Michel Antoine entre et s’assoit. On pose notre première question : « Quelles sont les actions de votre association ? ». À 18 h 15, il termine sa première réponse. Un exposé foisonnant, seulement interrompu par quelques gorgées de thé vert. Ancien administrateur de l’Assemblée nationale, il sait « parler une heure sans difficulté ». On confirme. Ses cheveux blancs ébouriffés, sa chemise rayée Ralph Lauren et ses yeux bleu lumineux évoquent les professeurs passionnés. Trop ? Pour ce portrait, nous éluderons l’histoire des Scalabriniens de l’église Saint-Bernard-de-la-Chapelle, maîtrisée sur le bout des doigts.

Refaire le monde

Quelques années plus tôt, Michel Antoine ne connaissait pourtant pas cette église. « Il y a 6 ans, un an avant ma retraite, j’ai reçu par mail : « Emmaüs Solidarité vous convie à la mairie du XVIIIe à un speed dating sur la question des migrants ». Je me suis marré. Mais, c’était tellement étonnant que j’y suis allé », raconte-t-il, en jouant avec sa tasse.

« De fil en aiguille, je rencontre le curé. Un vieil Italien de la génération 68 qui citait Gramsci, un peu gaucho. On a sympathisé. On refaisait le monde », narre Michel Antoine. Les souvenirs affluent. Ses yeux brillent. Ils étaient faits pour s’entendre. L’église de Saint-Bernard-de-la-Chapelle « ne fait pas partie de la soixantaine de paroisses de Paris qui se foutent royalement de l’accueil des migrants » rappelle-t-il. Lui vient d’un milieu engagé. « Mon père connaissait l’abbé Pierre et avait monté la communauté d’Emmaüs à Dijon ». Et à partir de l’âge de 25 ans, la vie associative ne le quitte plus. 

Changer le monde

Une expérience fondatrice pour assumer ses responsabilités de président de l’association : « Un président actif. Pas potiche. J’ai des idées. » Désormais, il œuvre au profit des plus démunis de la Goutte-d’Or. « C’est un des quartiers les plus pauvres de Paris. Mais c’est aussi un lieu d’une solidarité extrêmement importante. Je l’ai constaté pendant le Covid ».

Il pose ses lunettes, joint ses mains, recule sa chaise, inspire. Comme un grand-père qui, pour raconter une histoire, puise dans sa mémoire. « Le confinement a été une période extraordinaire de solidarité. Pendant deux mois, on a donné des repas quotidiens. » Le début d’une bascule. « Des gens du quartier sont venus aider. Des bouchers nous amenaient 20 kilos de viande, des gens apportaient des légumes », se remémore-t-il.

« Ça reste une des plus belles périodes de ma vie ». Sourire et yeux pétillants. N’aurait-il pas préféré profiter de sa retraite ? « J’ai vu à l’Assemblée nationale certains administrateurs se prendre pour des députés. Sauf qu’à la retraite, ils ne sont plus rien. Des tas de gens sont morts au bout de trois mois. De dépression. Je me suis toujours dit que c’était idiot ».

Aider, tout un monde

Aujourd’hui, son rythme reste effréné. « Il y a une montée de la misère », se désole-t-il. « 180 familles qui vivent principalement dans des hôtels sociaux de la Goutte-d’Or bénéficient d’opérations de distribution alimentaire ». Malgré la demande en hausse, Michel Antoine défend un accueil inconditionnel : 90 % des bénéficiaires sont des migrants. Mais 70 % des bénévoles le sont aussi. « Ça leur permet une vie sociale, de parler français, de retrouver leur dignité. On est très fier de ça », lance-t-il.

Mais depuis peu, c’est encore un autre sujet qui le préoccupe. La loi immigration. Les demandeurs d’asile devront mieux maîtriser la langue française. Il s’inquiète, lui qui donne des cours de français à des migrants depuis longtemps. « On est en train de créer un lumpenprolétariat. Des gens que personne ne verra. » Et le projet du gouvernement bouleverse son agenda.

Rêver son monde

Mais il s’adapte. « J’expérimente ! J’ai demandé à mon groupe du dimanche de réfléchir à dix verbes chacun, et à la rentrée on définira lesquels ils veulent travailler », détaille Michel Antoine. « J’ai l’impression d’être précurseur, j’adore ça ! ». Un amour de la transmission, hérité de ses études de lettres et de ses années de professeur de relations internationales dans les écoles de commerce. « Une passion », confie-t-il.

Soudain, il regarde son téléphone. 18 h 15. « J’ai un cours de français… Vous m’accompagnez ? » Direction l’ancienne mairie du Ier arrondissement. Une demi-heure d’anecdotes en métro. « La politique n’est pas pour moi. Je n’aime pas avaler des couleuvres. Et je ne suis pas en quête du pouvoir », lâche-t-il en dernier lieu, se frayant un chemin dans les couloirs bondés.

Addarhaman suit un maximum des cours de Michel Antoine ©Ancelin Faure

Dans une pièce aménagée en salle de classe, Addarhaman, son élève, nous rejoint, emmitouflé sous un bonnet, deux pulls et une veste. Soudanais, il a fui la guerre il y a quatre ans. « J’ai perdu mon village. Même les oiseaux sont partis ». Réfugié en France, il vient d’obtenir ses papiers après de longs mois à vivre la rue. Bénévole à Saint-Bernard, l’association l’a aidé. « Michel Antoine est vraiment super gentil, plus que gentil même », sourit-il.

Le cours débute. Et un nouveau Michel Antoine apparaît. Il ne parle plus. Il écoute. Il ne raconte rien. Il fait raconter, hoche la tête, corrige. Mais surtout, il sourit. Humanité. « Parle-moi de ton rêve », lance le retraité à Addarhaman. « Conducteur de train, de métro ou de bus ». Mais Michel Antoine le savait déjà. Il lui a d’ailleurs commandé un livre du code de la route. Cadeau de Noël. « Michel Antoine est vraiment plus que gentil », répète Addarhaman.

20 h 15. Le cours s’achève. Ils ne se reverront pas avant janvier. « Je garde Michel Antoine dans mon cœur et dans mon téléphone », se rassure Addarhaman. Sur le chemin du métro, Michel Antoine tisse un dernier lien. « N’oublie pas pour la prochaine fois. Écris-moi tes rêves ».

Ancelin Faure