Ils sont des dizaines à alpaguer les passants sur le boulevard de Strasbourg. Les rabatteurs, ou racoleurs, usent de tous les mots pour ramener des clients vers les salons de coiffure africains, pour lesquels ils travaillent. Un métier où il faut savoir allier verve et persévérance.
« Hé beau gosse, tu veux te faire des tresses ? J’ai la meilleure coiffeuse de Paris ! » lance Manu à un jeune homme sortant de la bouche de métro de Château d’Eau. Le trentenaire originaire du Cameroun est rabatteur depuis 2 ans. « Si tu n’as pas la tchatche, tu es mort dans le milieu. Être racoleur, ce n’est pas pour les timides », scande-t-il entre deux tentatives d’approche.
Emmitouflé dans une épaisse doudoune, Manu bat le pavé à la recherche de clients. Il arpente le boulevard de Strasbourg et la rue du Château d’Eau, temple de la coiffure africaine. « Nattes, locks, tresses, extensions… On peut tout faire ici et pour tout le monde ! » clame Manu. La dizaine de salons qui jalonnent le quartier se livrent une concurrence féroce. Pour se différencier, ils font appel aux rabatteurs et à leur bagou.
Une insistance qui peut déranger
Une femme traverse le boulevard. Chris, 37 ans, s’élance vers elle, les cartes de son salon à la main. « Mon Dieu, tu es trop belle ! Je vais te rendre encore plus magnifique dans mon salon ». La cliente refuse une première fois, mais le rabatteur né au Congo ne lâche pas l’affaire et la prend en chasse . « Il n’y a pas de queue et c’est le salon le moins cher de Paris ! » rajoute-t-il. Après avoir tout tenté pour persuader la cliente, Chris revient sur ses pas, bredouille.
Si les racoleurs savent manier les mots, ces sollicitations ne plaisent pas à tout le monde. L’une des femmes interpellées le souligne : « Je déteste ces manières. On ne peut pas marcher tranquillement, et même si tu leur dis non, ils continuent. En plus de ça, ils t’annoncent un prix, mais quand tu arrives dans le salon, la coiffeuse t’en annonce un autre ».
Derrière les sourires, des situations précaires
Si les rabatteurs sont si insistants, c’est qu’ils sont payés au nombre de clients ramenés au salon. Pour Kouadio, le butin de la journée est maigre. Avec quatre clients, il devrait toucher « un peu moins de 15 euros aujourd’hui» . Le jeune homme originaire de Côte d’Ivoire ne compte pourtant pas son temps. « Je démarre la journée à 9h, et à 20h je suis parti ».
Ceux qui ont d’habitude la langue bien pendue deviennent moins loquaces quand il s’agit de parler de leur condition de travail. Beaucoup sont en situation irrégulière et travaillent au noir pour un maigre salaire. Ils peuvent cependant compter sur les gérants des salons lors des mois les plus compliqués. « Le patron nous donne un petit salaire quand on a personne. Beaucoup de gérants étaient rabatteurs avant, alors, ils connaissent notre situation », affirme Kouadio.
Lui aussi a pour projet de reprendre un salon. Il montre du doigt la devanture rutilante d’une enseigne de la rue de Strasbourg. « C’est celui-là que je veux racheter. C’est pas pour tout de suite par contre », s’esclaffe-t-il. Pour accomplir son rêve, Kouadio ne perd pas le client de l’œil et repart dans sa quête. Il se dirige vers une femme à la coupe afro et recommence son numéro de charme, « Ma beauté, tu veux te faire coiffer ? »
Willem Foloppe