La reine du CentQuatre tire (bientôt) sa révérence

Lya Garcia, la mythique chargée d’accueil du CentQuatre, prendra sa retraite en 2024. Depuis quinze ans, elle travaille dans ce haut lieu de la culture parisienne. L’ancienne artiste professionnelle s’apprête à changer de vie : elle va aussi quitter la capitale.

Lya Garcia travaille au CentQuatre depuis quinze ans. Photo/Tom Chabeau

« Tu n’as pas mis ton bonnet aujourd’hui ? ». Surprise par la remarque de cet habitué des lieux, Lya Garcia porte les mains à sa tête. La chargée d’accueil du CentQuatre, espace ouvert aux artistes au cœur du quartier Flandres dans le XIXe arrondissement, a oublié d’enfiler sa pièce maîtresse. Pourtant, dans son look, tout était parfait : anneau dans le nez, short en polaire et baskets argentées. Il ne manquait que le bonnet en laine qu’elle a fabriqué ! « Je m’habille comme ça pour habituer les gens à la différence. Si tout le monde était pareil, ça ne fonctionnerait pas », sourit-elle. 

À 66 ans, celle qui déborde d’énergie s’apprête à prendre sa retraite. Depuis quinze ans, elle accueille tout le monde avec le même sourire. « J’aime rencontrer de nouvelles personnes tous les jours, c’est ce qui me motive pour me lever le matin », assure-t-elle. Avant de travailler au CentQuatre, elle a presque tout fait ! Modèle dans des écoles d’art, créatrice de mode, mime ou professeure de couture… Elle a rencontré beaucoup d’étudiants. « J’ai un lien particulier avec les jeunes. J’en ai aidé certains sur des projets pros. Quelqu’un a même tourné un film chez moi ».

« Je suis un grain de sable sur un caillou »

Hélas, ses revenus ne lui permettaient pas de vivre correctement. À 50 ans, elle en a eu marre. « J’ai fait beaucoup de sacrifices pour l’art. Pendant cinq ans, j’ai même vécu dans un appartement de quatre mètres carrés. Mon CDI au CentQuatre a changé ma vie », confie-t-elle. Avec ce salaire stable, elle a pu mener à bien des projets bénévoles qui lui tenaient à cœur. Dans le quartier, elle a notamment donné des cours de couture à des sans-papier, en partenariat avec Emmaüs.

Même si elle a vécu en Espagne, en Algérie et dans le sud de la France, c’est dans le XIXe arrondissement de Paris qu’elle se sent le mieux. « Quand mes parents se sont installés en France, c’était ici, dans le XIXe. C’est très cosmopolite, on voit plein de gens différents : pour moi, c’est le vrai Paris », assure-t-elle. Pourtant, d’ici quelques mois, Lya Garcia devra déménager. Avec une petite pension de retraite, elle ne pourra plus payer son loyer. Mais pas question de se laisser abattre. « Il y aura de la nostalgie mais moi, j’embrasse le futur. Je suis un grain de sable sur un caillou, je n’ai absolument pas peur de voyager ».

C’est d’ailleurs en voyageant que sa vie a changé. Alors qu’elle enseignait la couture au crochet en Inde, elle est tombée amoureuse d’un Indien du Pendjab. « Il porte le turban, la barbe traditionnelle. Moi-même je n’ai pas compris comment ça a pu se produire », s’esclaffe-t-elle. Avec son compagnon, la sexagénaire s’apprête à déménager à Dieppe (Seine-Maritime). « J’aime les villes avec de l’eau. Je veux être proche de Paris, mais aussi de l’Angleterre et de la Belgique. Je pense que c’est un bon compromis », justifie-t-elle. En attendant, assise à son petit bureau, Lya Garcia illuminera l’accueil du CentQuatre pendant encore quelques mois. Avec ou sans bonnet. 

Tom Chabeau