Située au cœur de la Goutte d’Or, l’échoppe est le dernier endroit de la capitale où acheter des volailles en chair et en os. Les clients viennent de loin, par tradition, en raison de leur confession ou par simple curiosité.
Le parfum de lessive qui s’échappe du Lavomatic de la rue Myrha ne parvient pas à masquer la forte odeur de poulailler qui se dégage de La Ferme Parisienne. Au cœur du XVIIIe arrondissement de Paris, dans le quartier de la Goutte d’Or, cet élevage de gallinacés est le dernier de la capitale. Poules, coqs et pintades s’entassent près de l’entrée dans une petite salle carrelée et vitrée où l’on peut les observer picorer.
M. Karamoko entre dans la boutique en saluant le patron. C’est un habitué. Avant chaque repas de famille, il vient chercher un poulet pour lui, sa femme et leurs six enfants. Il l’assure, « la viande n’a pas le même goût quand elle est bien fraîche ». Il préfère la préparer lui-même, même si cela lui prend deux heures d’égorger l’animal et de l’évider. Une façon pour lui de perpétuer la manière dont il cuisinait en Côte d’Ivoire, qu’il a laissée il y a plus de 30 ans.
Respecter les traditions ou sa confession
À peine a-t-il quitté la boutique, son carton caquetant sous le bras, qu’une cliente lui succède. Fatou, coiffée d’une large tresse et marchant d’un pas tranquille, tire derrière elle son lourd chariot déjà plein. Elle a fini ses courses mais vient pour une demande un peu particulière. Elle aimerait des plumes pour se laver les oreilles. « Chez moi, au Sénégal, on les utilise comme cotons-tiges », raconte-t-elle. L’employé du magasin interrompt le nettoyage des vitres auquel il était occupé et se met à remuer la paille en quête de quelques plumes. Durant l’opération, ils continuent à échanger en peul sur le prix des bêtes – 19,90 euros – que Fatou juge trop élevé.
Marie a traversé tout Paris pour trouver l’unique ferme où l’on peut se procurer des poulets vivants. « Il me faudrait un coq rouge », demande la quarantenaire, pressée, en répétant des indications qu’on vient de lui dicter au téléphone. Elle a de la chance, il n’en reste plus qu’un. Elle a été envoyée par un ami de Neuilly, une banlieue aisée des Hauts-de-Seine, qui tient à acheter des volailles vivantes pour les abattre suivant les rituels halals. Un attrait partagé par les fidèles de la mosquée voisine, nombreux à entrer dans la boutique après la prière. Des sourates du Coran sont d’ailleurs accrochées au-dessus de la porte de l’arrière-boutique.
Des conditions d’élevage qui interrogent
Les œufs attirent aussi les clients. Namé sort de la boutique avec une grosse boîte. « C’est une aubaine de pouvoir en trouver des tout frais pondus en plein Paris » s’exclame la jeune femme. Voir les animaux vivants la rassure. La cliente y voit le gage qu’ils ne vivent pas sur des sols pollués, qu’ils ne sont pas traités aux antibiotiques et ne sont pas maltraités. Même si l’espace est réduit, elle juge que leurs conditions sont meilleures que celles des animaux élevés en cage.
Un avis que ne partage pas Jacob, un habitant du quartier qui attend son linge à la laverie et vient de moins en moins souvent à La Ferme Parisienne. « Les animaux sont trop serrés, ils ne peuvent pas bouger, ils sont trop gras. » Les volailles sont en effet entassées par dizaines dans un espace carrelé de quelques mètres carrés. Jacob est de toute façon trop sensible pour dépecer les poulets lui-même. Il reste traumatisé par le jour où un ami lui en a apporté un et qu’il a dû l’égorger. Il préfère les acheter fumés et braisés au marché Château Rouge.
En réponse aux critiques, le patron, Zakari Megharbi, se contente de pointer du doigts la petite pancarte placardée sur la porte d’entrée qui indique que les normes sanitaires sont bien respectées.
Certains viennent d’ailleurs non pas pour acheter, mais pour regarder. C’est le cas de Marine, une voisine, qui en profite pour visiter la Ferme Parisienne à chaque fois qu’une amie lui rend visite. « C’est drôle, tu imagines l’effet pour Noël ? » s’amuse-t-elle en pointant une pintade. Chic dans son écharpe rouge, elle ne s’attarde pas trop. Les fortes émanations du volailler commencent à l’incommoder.
Marie Leveugle