Hamani Boudjema, l’enfant de Stalingrad fier de son quartier

Le quartier du XIXe arrondissement a mauvaise réputation. Hamani Boudjema, qui y a grandi, veut en tordre les clichés. Pour lui, c’est un refuge, auquel se rattachent son histoire et son identité.

Bonnet sur la tête, Hamani aime trainer sur les quais de Seine avec ses amis @ Marie Fischmeister

Hamani Boudjema est accoudé sur une table de l’esplanade, au bord du bassin de la Villette. Une cigarette à la main, il discute avec son ami Isman. Emmitouflé dans sa doudoune, Hamani a le sourire malgré la pluie. Pour lui, ces instants de détente sur les quais de Seine sont des moments privilégiés de son quotidien. Son métier de chef bagagiste à l’aéroport d’Orly l’oblige à de nombreux déplacements, mais il en profite pendant ses temps libres. « J’aime passer du temps ici une à deux fois par semaine parce que c’est convivial, je me sens chez moi à Stalingrad », confie-t-il.

Arrivé à l’âge de 13 ans, il a grandi dans le quartier, entre sa mère et ses frères. Pour Hamani, ou « Djimi », comme tout le monde l’appelle, son identité est un mélange de ses racines et de ses voyages. Algérien kabyle par sa mère, russe par son père, Français de naissance : il collectionne les cultures, à l’image de son quartier. Stalingrad est réputé pour sa communauté cosmopolite. Et Djimi en est particulièrement fier : « Quand j’aurai des petits enfants qui me demanderont “on vient d’où ?”, je leur répondrai “du XIXe !” » plaisante-t-il. 

Une quartier « où les différences s’effacent »

Le XIXe, c’est plus qu’un quartier pour Djimi, c’est une famille. « Ici, tout le monde se connaît et tout le monde s’entraide ». Les habitants forment une communauté où les différences s’effacent « Peu imporrte que l’on soit noir, blanc, arabe, juif, musulman… ce qui compte, c’est la personne », souligne Djimi. En revanche, la cohabitation avec les bobos est plus compliquée. « Un peu comme le village gaulois dans Astérix, on est très soudés et donc ceux de l’extérieur ont parfois du mal à s’intégrer ». 

Ces quais sont l’épicentre de la sociabilité du quartier : entre les berges s’organisent des parties de pétanque, des promenades, des matchs de ping-pong… Sans oublier les bars emblématiques comme le Hang’Art, son favori. « Tu demande à n’importe qui « où est Djimi ? », on te répondra « sur les quais” », affirme-t-il dans un sourire. Le terrain de pétanque fait partie de ses endroits fétiches. Depuis 10 ans, il y rejoint ses amis, croisés au hasard d’une balade, pour disputer des parties de boules. Ses partenaires de jeu sont devenus des proches : « si j’ai une galère, ils viendront m’aider ».

Ce maître-mot de l’entraide est aussi présent dans les moments plus durs. Pour Djimi, l’une des histoires les plus marquantes s’est passé il y a trois ans. « Un gamin de 12 ans a été poignardé en défendant sa petite sœur contre un toxicomane », raconte-t-il. En réponse à l’agression, les jeunes tentent une expédition punitive : « des tirs de mortiers pour faire peur aux toxicomanes et leur montrer qu’il ne faut pas toucher à nos enfants ». L’événement se solde par une intervention des forces de police et le déplacement du camp. 

Stalingrad le jour et Stalingrad la nuit

Les problèmes d’insécurité, le trentenaire s’en plaint. Lui peine à voir les efforts de la police pour ramener le calme. « Une fois en sortant du métro, j’ai vu des dealers vendre du crack à des fumeurs sous les yeux de la police qui ne disait absolument rien », fulmine-t-il. Il est persuadé que les forces de l’ordre « savent qui sont les dealers et ne font rien. Pourtant, il suffirait de les arrêter et il n’y aurait plus de problème de drogue et d’insécurité à Stalingrad ».

Il n’y a pas que dans la police que Djimi a perdu confiance. Pour lui, les médias sont aussi coupables de l’image délabrée de Stalingrad. « Certes, entre Barbès et Stalingrad, on a la palme d’or du quartier le plus dégueu de Paris avec les toxico, reconnaît-il, mais il y a un Stalingrad de la nuit et un Stalingrad du jour ». Et entre les deux, un fossé. « La nuit, il ne vaut mieux pas s’aventurer sur les quais, mais le jour, c’est le meilleur coin de Paris », dit-il en étendant ses bras devant le paysage du bassin et des péniches colorées.

Marie Fischmeister