À la sortie de l’établissement de la Goutte-d’Or, la fermeture d’une classe depuis la rentrée occupe encore les esprits. Une difficulté supplémentaire pour l’établissement, classé en Réseau d’Education Prioritaire, qui accueille des enfants précaires.
Lucie attend, adossée à une barrière glaciale, écouteurs vissés dans les oreilles. D’origine équatorienne, elle maîtrise mal le français et s’en excuse. « Mon petit est en CE2. Ils sont très nombreux dans sa classe. » Si son fils ne s’en plaint pas, elle reste inquiète. « C’est la première année où il y a beaucoup d’élèves devant une professeure ».
Derrière la jeune femme, une banderole aux lettres capitales bleues, noires et rouges, accrochée au mur de l’établissement. « Pour une école publique de qualité pour toutes et tous. Non à la fermeture de classe. Parents et équipes en colère ». Le symbole d’une lutte perdue. Marie, parent délégué, ne décolère pas. « L’année dernière, on a essayé de se battre contre la fermeture de classe, mais on n’a pas réussi », raconte la jeune maman, enfilant son bonnet de laine.
Le déferlement des écoliers
Un coup de massue pour l’école, classée en Réseau d’Education Prioritaire (REP). « Ici, il y a des enfants qui ne parlent pas français ou qui dorment dehors. Quatre familles de cette école sont à la rue », détaille Marie. Des difficultés que connaissent aussi d’autres établissements du quartier. En novembre, selon Le Parisien, 74 écoliers passaient leurs nuits dans les rues du XVIIIe arrondissement. Soit 19 % des enfants sans-abri à Paris. « On a aussi sept enfants handicapés qui devaient bénéficier de cinq accompagnants (AESH). À la rentrée, on en avait zéro », tient à préciser Marie.
Le déferlement d’enfants sortant de l’école interrompt la discussion. Emmitouflée dans son écharpe, sa veste et sa capuche jaune, Alexandra guette son enfant. Professeure dans une école maternelle proche, elle connaît bien ces écoliers. « Certains enfants habitent là », indique-t-elle en montrant du doigt un immeuble discret situé à une dizaine de mètres. Un panneau signale : « Maison des F&ES ». Un joli nom et une façade avenante. Mais dans cet ancien hôtel 3 étoiles converti en foyer vivent des femmes battues, seules ou sans domicile.
« La fermeture est définitive »
Un entrecroisement de difficultés sociales difficile à gérer depuis septembre. « Cette rentrée a été un désastre. Dans la classe de mon fils en CE2, ils sont vingt-trois, et vu le quartier dans lequel on vit, ce n’est pas possible », se désole Alexandra en scrutant la porte d’entrée de l’école. « Quand j’enseignais en Seine-et-Marne, il y avait 31 élèves par classe, et ça allait. Mais dans une école classée en REP, c’est différent. Moi je suis prof en maternelle depuis vingt ans, mais l’année prochaine je prends une dispo et j’arrête. »
Soudain, son fils se jette dans ses bras. Sourire retrouvé. Preuve d’un optimisme à réveiller ? « On peut essayer de mener une action… » Silence. Souffle. « Non, c’est impossible. La fermeture est définitive. » Main dans la main, mère et fils s’éloignent. De l’école et de ses soucis.
Tous les parents ne s’alarment pas de cette fermeture. Romain, agrippé à son vélo cargo, relativise. « J’ai l’impression qu’on est dans une situation ultra-privilégiée ici. En CP, on a des classes avec 15 élèves », explique-t-il en embrassant sa fille. La fillette aux cheveux blonds s’installe dans le compartiment avant de la bicyclette. « Certes, il y a des conditions complexes, mais ça va », lâche le père qui démarre, concentré à ne pas renverser les bambins qui courent.
« On a l’impression de ne pas pouvoir faire notre métier »
Enseignante ici depuis neuf ans, une trentenaire aux cheveux courts et au manteau grenat fait part de son dépit. « L’année dernière, un collègue est parti à la retraite et une autre a démissionné. L’un a été remplacé, et une classe a fermé. » À côté d’elle, des affiches de la FCPE placardées de part et d’autre de l’entrée. « Non aux fermetures de classes, à la casse de l’école publique ». Éternellement punaisées.
Epinglées dans le couloir principal, les photos de classe témoignent de l’explosion des effectifs. « À la fin de la journée, on se demande si on a vu au moins une fois tous les élèves. On a l’impression de ne pas pouvoir faire notre métier, regrette la professeure. Je ne sais pas jusqu’à quand je vais tenir ». Pour l’instant, elle continue et se bat. Pour combien de temps ? « Après-demain, j’ai une formation sur comment construire son parcours professionnel et changer de métier. »
Ancelin Faure