A deux pas de la station Château Rouge, des boutiques de cosmétiques ont fait leur apparition. Spécialisées dans la vente de produits éclaircissants de bonne qualité, ces enseignes cherchent à contrer la vente illicite de produits dangereux qui prédomine dans le quartier.
Caroline, sa liste de course à la main, appelle son bambin qui gambade à l’autre bout de la boutique. A 26 ans, c’est une habituée de la parapharmacie HT26. Installée sur le Boulevard Barbès depuis 2019, la boutique vend des cosmétiques éclaircissants pour les « peaux noires et métissées ». Durant son adolescence, la jeune femme a succombé aux produits dépigmentants disponibles sur le marché noir. Une grave erreur. Elle grimace en observant ses mains parsemées de tâches brunes : «J’ai limité la casse. Mais ma peau sera toujours fatiguée, je l’ai maltraitée ».
Caroline utilise désormais des produits éclaircissants, sans agents décapants, moins nocifs pour la peau. Pour la jeune maman, la présence de la parapharmacie dans le quartier est stratégique : « Ça fait de l’ombre aux magasins qui vendent des produits illégaux dans les rues adjacentes. C’est une très bonne chose ».
Un vendeur qui fait de la prévention
Éclaircir la peau tout en préservant l’épiderme. Voilà le crédo de la marque HT26. Sur les flacons disposés en vitrine, les mentions « sans hydroquinone » et « sans corticoïdes » sont gages de qualité. Interdits par l’Union européenne depuis 2001, ces deux agents dépigmentants sont notoirement dangereux. La boutique mise donc sur le naturel : citron, carotte, acide kojique, etc. Cette préférence a un prix, 90 euros la crème et 180 euros le pack.
Derrière son comptoir, le vendeur fait de la prévention auprès d’une cliente. Il est ferme. On ne s’expose pas au soleil. Pas de mélange. Et à la première réaction suspecte, aller voir un médecin en urgence. Les produits HT26 sont-ils inoffensifs ? Le jeune homme fronce les sourcils, sur la défensive : « Nos produits sont dosés juste ce qu’il faut. Oui, on peut s’éclaircir la peau sans la sacrifier, c’est un équilibre. Il faut être patient et se tenir à une routine. C’est comme n’importe quel soin ».
« La qualité justifie les prix »
Dans le quartier, d’autres boutiques se sont spécialisées sur ce même créneau. Décorée pour Noël, l’enseigne QEI+, installée à quelques mètres, s’inspire de l’élégance des Grands Boulevards. Ici, des napperons rouge vif, paillettes et ornements en verre, sur lesquels trônent fièrement les produits cosmétiques. Derrière son comptoir, Kara conseille un pack « Or Innovateur » à un homme venu acheter un cadeau à sa femme. Le prix ? 163 euros tout de même.
« La qualité justifie les prix », assume la vendeuse en un sourire. Kara défend fidèlement les principes de la marque : « Ici, on souhaite offrir une expérience décomplexée. On respecte le client en lui offrant un produit à l’image des grands magasins européens.» Une quadragénaire l’interrompt. Admirant les étagères, elle l’interroge en lingala sur les nouvelles tendances.
La femme tire derrière elle un chariot vide qu’elle entend bien remplir dans la boutique. Pour elle, le constat est clair : impossible de retourner vers les magasins exotiques traditionnels. « La texture, l’odeur des produits et le service. Ça n’a rien à voir ». Originaire d’Amiens, elle fait le déplacement trois fois par an pour s’approvisionner. « Je ne me vois pas aller ailleurs que dans le XVIIIe pour acheter des produits pour peau noire », confie-t-elle.
Un argument marketing
Ce business du bio ne fait pourtant pas l’unanimité à Barbès. De l’autre côté du passage piéton, le pharmacien du quartier observe tous les jours des patients à la peau abîmée par ces produits. « Il y a un vrai travail de pédagogie à réaliser sur le blanchiment de la peau », assure-t-il. Il accuse ces commerces haut de gamme de donner une « aura séduisante à un marché intrinsèquement dangereux ».
Favorable à une réglementation plus stricte de ces boutiques, il en dénonce les pratiques. « Il faut oublier les jolis flacons et les parfums sophistiqués. Soit une crème éclaircit réellement la peau et dans ce cas elle présente un danger. Soit c’est un argument marketing ciblant les personnes noires, donc autant prendre une crème hydratante ».