À bord de sa vedette, Benoît Tetue narre l’histoire du quartier de Stalingrad. Après de multiples reconversions, le quinquagénaire apporte aujourd’hui sa pierre au tourisme local.
« Le bassin de la Villette a été créé à l’initiative de Napoléon Bonaparte au début du XIXe siècle pour approvisionner Paris en eau potable. » C’est à travers ces mots que Benoît Tetue, guide-matelot depuis deux ans, raconte l’histoire de Stalingrad au micro de sa vedette qui sillonne les canaux du nord de Paris. Il connaît le quartier comme personne et conte chaque jour ses secrets aux touristes à bord. « Les cinémas Mk2, que vous observez en contrebas, ont été construits avec les ossatures d’anciens entrepôts de marchandises », reprend-il d’une voix rauque. Une anecdote que le guide se plait à raconter. « J’adore parler du Paris insolite. Je ne veux pas bombarder les gens avec des dates historiques », confie-t-il en riant.
De l’industrialisation à l’ère contemporaine, Benoît narre avec passion les métamorphoses du bassin. Des commentaires parfois ponctués d’un « surveillez vos enfants », puisque comme le dit le quinquagénaire, « assurer la sécurité des passagers est [sa] principale mission ». Et à travers cette préoccupation pour le bien-être de ses clients, Benoît n’a qu’un objectif : offrir, bien plus qu’une simple visite, une « croisière mémorable ».
Sa sympathie et son aisance relationnelle marquent l’esprit des touristes qu’il rencontre. « Au début de l’invasion russe, j’ai reçu des étudiantes ukrainiennes sur mon bateau. Je les ai présentées au micro en expliquant que tout le monde les soutenait. On les a applaudies », se remémore le guide-matelot, encore ému par ce souvenir.
De la persévérance à l’épanouissement
Mais si ce métier lui semble aujourd’hui une évidence, cela n’a pas toujours été le cas. Lui qui rêvait à 26 ans de travailler sur des bateaux de croisière internationaux a mis 27 ans pour parvenir à ses fins. « À l’époque, ils ne recrutaient que du personnel issu des pays asiatiques. Ces travailleurs ne connaissaient pas le droit du travail français. C’était de la main-d’œuvre facile. » Face à de nombreux refus, le natif du Val-d’Oise décide de se former au métier de réceptionniste, qu’il choisit pour sa richesse interculturelle. « L’ingratitude des clients » le fera changer de carrière, 15 ans plus tard.
Agent d’accueil à la gare d’Avignon, secrétaire dans une clinique, vacataire au service d’état civil de la mairie du XIIIe arrondissement de Paris : s’ensuivent alors de multiples reconversions. Toutes impulsées par la quête d’un métier « coup de cœur » et d’interactions humaines. « On me disait qu’à mon âge, j’aurais dû rester réceptionniste. Se reconvertir était un véritable combat à mon époque. Lorsque tu choisissais un métier, tu l’exerçais jusqu’à ta retraite », glisse Benoît, en souhaitant que les nouvelles générations aient plus de facilités que lui. Et puis, un jour, une annonce pour un poste. Celui de guide-matelot au bassin de la Villette. Un métier dans lequel il s’épanouit pleinement depuis.
Mais à 55 ans, le navigateur ne ferme pas la porte à une énième reconversion : « Je n’ai jamais eu peur de repartir à zéro si je ne suis pas heureux. »
Aurore Maubian