Cassure de téléphone, batterie défaillante ou problème de carte-mère, Anamul a la solution à tout. Pourtant, la clientèle ne se presse pas dans sa boutique aux mille gadgets. Sept ans après l’ouverture de son petit commerce, le vendeur ne croit plus trop à son business.
Le regard vide et l’air sympathique, Anamul fait défiler le fil d’actualité sur son téléphone. Histoire de faire passer le temps en attendant les clients. Assis derrière le comptoir de sa petite boutique, baptisée « Belleville informatique », le petit patron s’ennuie ferme. Dans ce haut de la rue Belleville, il y a pourtant beaucoup de passage.
Sa boutique, il l’a ouverte voilà plus de sept ans, en 2016. Un nouveau départ, pour lui. Il s’associe alors avec un ami et et le business s’avère, d’abord, être fructueux. « On n’était que trois réparateurs dans la rue, la concurrence était faible. Aujourd’hui, on est une bonne dizaine, se désole-t-il. Et on galère tous». Ce qu’il remarque, ce sont les changements fréquents des gérants dans les autres boutiques du quartier. « Tous les six mois, voire un an, ils changent », raconte-t-il, la tête baissée.
Objectif, « travailler et gagner de l’argent »
Un client débarque avec un téléphone à la vitre cassée. Il se lève de sa chaise pour l’accueillir. Rien de bien compliqué pour lui qui a commencé à acquérir de l’expérience au Bangladesh voilà près de quinze ans. « Je réparais déjà d’anciens téléphones. Puis, quand je suis arrivé en France, j’ai fait une formation pour renforcer mes connaissances », relate-t-il, en scrutant minutieusement l’Iphone.
Il s’accroupit, prend une boîte de petites vis et commence le diagnostic. Anamul semble prendre plaisir à faire ces petits gestes, fruit d’une longue expérience. En 2010, encore mineur, il quitte le Bangladesh pour le rêve européen. Il obtient alors un visa pour l’Angleterre puis pour l’Italie, où il ne reste que quelques mois avant d’atterrir à Paris. Son seul objectif ? « Travailler et gagner de l’argent ».« En France, j’ai d’abord trouvé du boulot dans un restaurant italien. J’y ai travaillé six ans, pour mettre de l’argent de côté et ouvrir mon petit commerce. Je voulais vivre de mon métier : l’informatique ».
Le dégoût exprimé
Malgré son tempérament calme, Anamul en a gros sur le cœur. Il dégaine son téléphone pour montrer la vidéo d’un vol de téléphone dans sa boutique, capturé par les caméras de surveillance : « Parmi les changements du quartier, je remarque qu’il y a de plus en plus de vols. J’ai déjà porté plainte, mais la police ne fait rien ! » s’indigne-t-il en fronçant les sourcils. Pointant du doigt l’étiquette rouge du prix affiché sur une coque de téléphone, le gérant se désole également du fait que les clients tentent de négocier les prix : « S’il y a une étiquette avec un prix affiché, ce n’est pas pour décorer. Je ne comprends pas cette nouvelle tendance », exprime-t-il en reprenant place derrière son comptoir.
Il se lève, se dirige vers l’imprimante et photocopie des papiers administratifs pour une cliente. « C’est vrai, je ne parle pas bien le français et puis j’ai une tête de Bangladais, forcément. Et puis, même si tu obtiens les papiers, tu es toujours un étranger aux yeux des autres », murmure-t-il, avec une pointe de désarroi.
Dans la boutique désertée par les clients, le silence n’est brisé que par les conversations en bengali de ses deux employés. Cette inactivité inquiète le petit patron, obligé de revoir ses ambitions. « Je ne veux plus rester en France. J’ai de la famille aux États-Unis qui m’a conseillé de venir », avoue-t-il. A-t-il pensé à mettre la clé sous la porte ? « Mais après, qu’est ce que je ferais ? Je suis obligé de travailler », confie-t-il en écarquillant les yeux.
Yasmine Boutaba