Une journée avec Sidou, sans-abri de la gare du Nord

Le sexagénaire à la barbe grise vit aux abords de la gare du Nord, à Paris. Chaque jour, il tente de conserver un peu de contact humain en rendant visite aux commerçants du quartier.

Sidou a tenu à nous offrir un sweatshirt qu’il a tenté de personnaliser avec un marqueur – Nils Leprêtre

« Venez, je vais vous présenter à mes amis opticiens ! » Les commerçants des environs de la gare du Nord, Sidou les visite quotidiennement. Il connaît bien le quartier puisque c’est ici qu’il vit. Direction, donc, le vendeur de lunettes de la rue de Dunkerque. Sur le chemin, un conteneur à poubelles rempli barre le trottoir. Trois poke bowls à peine entamés s’y trouvent, au milieu des détritus. L’occasion de rattraper les repas manqués. « En bas des immeubles de bureaux, il y a toujours plein de restes. Les gens commandent le midi mais ne mangent même pas la moitié », soutient-il. Et tant pis pour l’opticien.

La nuit, Sidou dort dans l’un des nombreux parkings sous-terrain du quartier. Et la journée, il cherche un peu de répit sur les bancs de la gare ou ses environs. Quand la manche lui a apporté assez d’argent, l’homme aime trouver refuge dans la boulangerie face à la gare, où il se paye un thé. Le jour où nous le rencontrons, deux autres sans-abri y sont installés, qui profitent de la chaleur du bâtiment et d’un fauteuil. Avec l’assentiment des employés du magasin. La porte des toilettes est tout de même verrouillée et il faut demander au personnel pour s’y rendre. Quand un homme, le regard livide, le dos courbé et le pantalon en dessous des genoux souhaite y accéder, la vendeuse l’accompagne.

Une ficelle de sac poubelle en guise de bolduc

Au bout d’une trentaine de minutes de discussion, le sans-abri prétexte une pause cigarette pour s’éclipser. « J’ai besoin d’une dizaine de minutes », promet-il. Il ne revient qu’au bout d’une heure. « La devise de mon père, c’était « ne vole pas, gagne de l’argent et ne ment pas », annonce Sidou. J’ai dit que j’allais revenir, il fallait me croire. » Si le vagabond a mis tant de temps, c’est parce qu’il a fait un détour par une parfumerie, où une vendeuse l’a parfumé, et par une friperie. « Je voulais vous faire un cadeau », se justifie-t-il en tendant un sweat-shirt bleu sérigraphié « Columbia University », entouré d’une ficelle de sac poubelle en guise de bolduc, qu’il assure avoir acheté.

L’homme au visage marqué par la vie a du mal à tenir une conversation dans la durée. Il alterne entre des phases de pleine lucidité, et d’autres où il semble absent. Sur le chemin vers la pharmacie où il souhaite récupérer des échantillons, il explique : « C’est la faim et le manque de nicotine qui me taraudent. » Une vie de dépendance à différentes substances vient aussi s’y ajouter. Jeune homme, il « touche à des produits qu’il ne fallait pas toucher » : du crack. Il entre alors dans une spirale infernale et alterne prison et vie à la rue, sur fond de toxicomanie.

Des commerçants solidaires

A deux pas de la gare, Sidou entre dans une pharmacie. Il a le contact facile : en quelques minutes, il obtient du gérant des échantillons de gel douche et de crème. Le gérant lui propose même une béquille pour l’aider à se déplacer. Il la refuse, préférant son parapluie pourtant tordu. Il souhaite retourner à la boulangerie. La vendeuse lui a promis un sandwich s’il revenait à la fermeture. Elle lui offre un panini, un beignet et un café.

Beaucoup de sans-abri vivent aux abords de la gare du Nord. Et les commerçants les aident comme ils peuvent. L’opticienne de la rue de Dunkerque, que Sidou avait présentée comme une amie, confirme : « Des SDF viennent régulièrement. Ils essaient des lunettes et repartent après une petite discussion. Ils ont plus de problèmes qu’ils n’en causent. »

Attablé à la terrasse de la boulangerie, Sidou essaye maintenant de personnaliser le sweat-shirt en écrivant un mot dessus. Mais il peine à maintenir son attention. À mesure que la nuit tombe, ses moments de lucidité se raréfient. Ils laissent place à des phases où il semble délirer et à de longues périodes de somnolence pendant lesquelles il pique du nez. Il se réveille en ayant oublié ce qu’il était en train de dire, et s’en attriste : « Je suis désolé qu’on termine de cette manière. Je me sens dépassé par la situation et les événements. »

Nils Leprêtre