Le poète organise des scènes ouvertes de slam dans son bar hétéroclite depuis 15 ans. Il en a fait un lieu de culture et de vie nocturne, en plein cœur de Belleville.
Le cabaret Culture Rapide, bar où la poésie est reine, est à l’image de son créateur : haut en couleurs. Avec son jean multicolore et son sweat violet, le slameur Pilote le hot se fond dans le décor hétéroclite de ce lieu emblématique de Belleville. « Toute la déco, c’est des trucs que j’ai ramenés de mes voyages ou que j’ai volés », raconte le cinquantenaire, assis sur une chaise sur la petite scène du bar, les yeux parcourant son établissement. Les murs rouges, violets et jaunes sont remplis d’affiches, de stickers et de décorations en tout genre.
« Ça, c’est ce que j’appelle le mur des lamentations », explique le slameur, en collant de nouveaux autocollants sur un mur qui en est déjà rempli. Il peine à trouver de la place mais s’obstine, sa tête oscillant au rythme de la musique. Et lorsque passe Buy me a boat de Chris Janson, il n’hésite pas à monter le son, dans une salle déjà bruyante.
De la rue au cabaret populaire
Pilote le hot a une affection particulière pour l’oralité : « Je ne crois pas aux livres écrits, mais je crois au fait de dire mes poèmes devant un public. » C’est donc dans le métro parisien qu’il commence à réciter ses textes, il y a plus de 30 ans. Il rejoint ensuite un bar à Pigalle, où il monte sur scène pour la première fois. Le poète se fait progressivement un nom dans le monde du slam et parvient à organiser, il y a 20 ans, la première coupe du monde. Cinq ans plus tard, il ouvre Culture Rapide à Belleville, le quartier où il vit et évolue. Il veut faire de son bar une « maison du peuple où tout le monde viendrait boire des coups pas chers ». Un objectif qu’il estime aujourd’hui atteint.
Mais ce qui fait l’ADN de Culture Rapide, ce sont surtout ses scènes ouvertes, qui accueillent tous les poètes amateurs qui le souhaitent. « C’était la mode il y a une vingtaine d’années de faire des scènes ouvertes dans les bars. Maintenant, il y a beaucoup de bars de bobos dans le quartier et ils n’invitent pas des bouffons comme nous » s’amuse le slameur en regardant autour de lui.
Sur une grande table, plusieurs jeunes boivent des bières de bon cœur. A la table voisine, une jeune femme est venue avec son père aux cheveux grisonnants. Pilote le hot vient les saluer dans une ambiance bon enfant. Ici pas de chichi, le tutoiement est de mise et la liberté d’expression centrale. « Moi, je dis ce que je pense, même aux clients », assure le poète, qui n’a pas peur de choquer. Un peu plus loin, dans un coin au fond du bar, Anatole, trentenaire, lit seule une BD. Elle décrit le propriétaire des lieux comme « complètement allumé », ce qui ne l’empêche pas de venir dans son cabaret populaire dès qu’elle en a l’occasion.
« Il y a un public pour la poésie »
Dans le XXe arrondissement de Paris, Belleville est un quartier populaire, bien que de plus en plus gentrifié. La population est hétérogène, tout comme la clientèle de Culture Rapide, composée de « bobos, gens de la classe ouvrière et étudiants qui ne veulent pas claquer leur tune ». Mais pour Pilote le hot, populaire n’est pas un antonyme de culture. « Il y a un public pour la poésie, affirme le slameur, même ici tard le soir. » Il suffit de jeter un œil à la salle pour le constater : elle est pleine.
Il est près de 22 heures quand le poète aux cheveux en pagaille monte sur scène. D’un ton enjoué, il rappelle les règles de la soirée : chaque poète amateur a trois minutes pour réciter ses vers avant que les trois juges désignés dans la salle ne lui attribuent une note. Le gagnant remporte « une couronne de laurier virtuelle et le droit de réciter un poème supplémentaire ». Les participants défilent sur scène, puis vient le tour du patron des lieux. De sa voix qui porte, il récite un texte dans lequel il dit sa volonté « d’empaler » la mère Noël sur un « capot de deux chevaux ». Sous le regard sceptique de certains, amusé d’autres.
Manon Berdou