Sur l’un des plus grands marchés de la capitale, les prix baissent à partir de 13 heures. Une aubaine pour les commerçants comme pour les clients, dans un quartier encore populaire.
Il est presque 13 heures quand Mohammed Amine décroche les écriteaux des cagettes de fruits et légumes sur son étal du marché de Belleville, dans le XXe arrondissement de Paris. D’un geste rapide, il efface les prix et les remplace par de nouveaux, plus bas. « Les pommes étaient à deux euros le kilo, maintenant c’est un euro. Pour les bananes, on passe d’un euro à soixante-quinze centimes », explique le primeur en désignant ses produits. Quelques clients tentent de se faufiler vers lui à travers la foule, en quête de bonnes affaires.
Les clients, il n’en manque pas au marché de Belleville, l’un des plus grands de la capitale. A une heure de la fermeture, c’est encore l’effervescence. Et pour cause : certains, comme Danielle, viennent exprès à la fin du marché pour payer le moins cher possible. « C’est plus avantageux de venir ici que d’aller au supermarché » rapporte l’octogénaire, qui vit depuis plusieurs années dans le quartier, un sac rempli de clémentines pendu à son bras. La baisse des prix est aussi rentable pour les commerçants. Ils s’assurent ainsi de vider leurs stocks et de se débarrasser des fruits abîmés, difficiles à vendre sur d’autres marchés le lendemain.
Un marché à la clientèle populaire
Dans ce quartier populaire, la diminution des prix est un argument de vente pour les clients. « Généralement il y a beaucoup de monde à la fin », témoigne Issam, qui tient son stand à l’entrée du marché. Lui aussi revoit ses prix à partir de 13h30, soit une demi-heure avant la fermeture. « La baisse dépend du produit, mais s’il est vraiment fatigué, on peut baisser de moitié », ajoute-t-il en regardant son frère, Bassem, qui entame une chansonnette pour attirer les clients. « Tine, tine, les clémentines ! » claironne-t-il assez fort pour couvrir la voix de son voisin, qui annonce à tue-tête le prix de ses produits. Sourires aux lèvres, les clients se rapprochent de l’étal des deux frères et goûtent les fruits qu’on leur tend, avant de se servir dans les cagettes. Ils s’éloignent ensuite difficilement dans l’allée bondée, pour poursuivre leurs achats.
Même si le marché de Belleville est l’un des moins chers de Paris et brade ses prix, certains clients sont encore en difficulté pour se nourrir. « Avec ma petite retraite de 800 euros, je ne peux acheter que des fruits et légumes, pas de viande ou de poisson », raconte une habitante du XIXe arrondissement. La retraitée a longtemps vécu à Belleville et continue de venir au marché – surtout à la fin – pour faire ses courses. « Je traîne un peu et quand je verrai les prix baisser, j’achèterai. » Elle repart arpenter le marché, espérant trouver « des carottes à un euro ».
Le marché, « une question de relations humaines »
Après avoir acheté leurs fruits et légumes, certains s’arrêtent sur l’étal de Naim. Un peu en retrait, il est en train d’évider des poissons, ce qui ne l’empêche pas d’interagir avec ses clients, en français et en arabe. Une importante communauté maghrébine vit dans le quartier et les commerçants, souvent eux aussi maghrébins, jonglent entre les deux langues.
Pour Naim, le marché est « une question de relations humaines ». C’est donc naturellement qu’il adapte ses prix en fonction des quartiers et des clients. Il est aussi présent sur plusieurs marchés du centre parisien, mais celui de Belleville est le seul sur lequel il brade ses prix. « Ici les gens cherchent les meilleurs prix, alors que dans le centre de Paris, ils cherchent la qualité. Les clients sont plus riches et ne négocient pas, donc je vends un peu plus cher là-bas et des produits différents. Ça permet de rééquilibrer mes marges entre les marchés », raconte le poissonnier. Naim ajoute joyeusement : « On reste humain, et si les marchandises ne peuvent pas tenir jusqu’au lendemain, on les donne. »
Manon Berdou