Depuis 2019, ce quadragénaire mélomane répare fréquemment les instruments dans les gares parisiennes, notamment celui de la plus grande gare d’Europe, très souvent endommagé. À tel point que la SNCF souhaite l’embaucher.
Sac à dos noir, doudoune bleu marine, Jean-Baptiste Chatel a tout l’air d’un voyageur lambda dans le hall de la gare du Nord. Pourtant, il a une mission : redonner vie au piano détérioré à l’entrée. « Ah, c’est vous qui réparez le piano ! On vous attendait, s’exclame un habitué de la gare. Vous êtes notre sauveur. » Jean-Baptiste Chatel n’apprécie pas vraiment ce qualificatif. « Oh, je ne fais que mon métier, c’est juste quelques cordes à changer », répond-il humblement. Pourtant, depuis cinq ans, c’est bien lui qui répare seul les pianos installés en libre accès dans les gares, et notamment celui de Gare du Nord. Il joue quelques notes, puis reconnaît à l’oreille les faux accords, sans utiliser d’accordeur électronique.
« Là, vous voyez, le son de la note n’est pas bon, presque étouffé, donc je sais qu’il faut resserrer la corde. » Un travail minutieux et de longue haleine. Temps estimé pour remettre à niveau le piano : 3h30. « C’est toujours Gare du Nord que j’ai le plus de travail à faire. Il ne suffit pas de retendre les cordes. Elles sont souvent cassées, donc il faut les changer. » L’instrument est situé à quelques mètres de l’entrée de la gare. Une localisation qui le rend accessible à tous. Même à ceux qui errent le soir devant la Gare du Nord. « Il y a des gens qui tapent dessus, c’est dommage. »
« Le métier de musicien n’est pas fait pour moi »
Jean-Baptiste Chatel l’affirme, accordeur des gares n’est pas forcément le meilleur travail pour un passionné de piano. Il faut parfois travailler dans le froid et surtout, devant la foule. Un défi pour ce grand timide, gêné de l’attention qu’il suscite quand il exerce son art. « Mais ça me permet de rester dans le monde de la musique », témoigne-t-il, tout en sortant de son sac sa boîte à outils. Jean-Baptiste a toujours eu une âme d’artiste. Son grand-père maternel jouait du piano. Son père adorait chanter. Dès ses 6 ans, il s’entraîne alors sur l’instrument à cordes familial. « C’était un peu fou, parce que j’imaginais des mélodies dans ma tête et très vite, mes mains les reproduisaient avec le clavier. J’avais l’oreille relative, sans forcément la travailler. » Son métier de rêve quand il était enfant : compositeur de musique de films.
Pourtant, ce talent, Jean-Baptiste Chatel ne l’exploite pas directement. Timide, introverti, l’accordeur l’assure : « Le métier de musicien n’est pas fait pour moi. Je ne voulais pas jouer devant du monde, me mettre en scène, me montrer. Je voulais que ça reste un jeu, une sorte d’improvisation, et pas un travail. »
Des études qui ne lui plaisent pas
Après son bac, le jeune homme se lance alors dans un IUT en techniques de commercialisation, sans conviction. « J’étais déprimé, je ne savais pas ce que je voulais faire. C’est à ce moment-là que le copain de ma sœur lui parle d’un article sur le métier d’accordeur de piano. Elle m’a dit de foncer, et j’y suis allé. C’était le meilleur moyen de rester au plus près de ma passion et d’utiliser mon talent pour aider les autres. »
La suite ? Jean-Baptiste Chatel intègre l’Institut technologique européen des métiers de la musique (ITEMM). Après un diplôme de technicien accordeur réparateur de piano obtenu à 23 ans, il se lance dans le monde du travail, mais est vite rattrapé par la réalité de l’entreprise. « J’ai remarqué que lorsqu’on est timide, introverti comme moi, on se fait marcher sur les pieds par les employeurs en face. Je n’étais pas heureux dans mon travail. »
Au fil des années, le mélomane développe quand même un réseau qui lui permet de créer sa propre entreprise. Depuis 2016, l’accordeur travaille à son compte et alterne entre les plus grandes salles de concert de Paris, les opéras et les gares franciliennes. Même s’il a un penchant pour la dernière option. « Dans les gares, les gens ne voient pas l’utilité de réparer les pianos, car ils ne reconnaissent pas les faux accords. Ce n’est pas gênant pour eux. Mais pour moi, c’est essentiel de bien réparer les pianos des gares. Ils sont libres d’accès, tout le monde peut y jouer, ça enlève un peu le côté élitiste de la musique. »
Jean-Baptiste Chatel n’est pas prêt de quitter le hall de la Gare du Nord. La SNCF lui a proposé un contrat d’un an renouvelable pour éviter de le payer en prestation. Une proposition alléchante pour ce passionné de musique. Travailler dans l’ombre pour faire briller les autres, c’est finalement ce qu’il préfère.
Yanis Soul