Frédéric Thomas et sa boutique Sam Records : les trente glorieuses du Jazz

À la tête d’un label de vinyles jazz, Frédéric Thomas a ouvert en 2021 une boutique rue Taylor. Elle est un repère intime où se retrouvent les connaisseurs devant une riche collection.

Frédéric Thomas doit gérer les livraisons avant Noël de ses deux dernières presses(© Constantin Jallot)

Entre les murs blanc crème, une ambiance feutrée règne dans le magasin de vinyles. Frédéric Thomas y échange avec Dominic, un camarade jazzman de longue date. Aujourd’hui la boutique est fermée, mais pour les connaissances, le disquaire n’hésite pas à faire des exceptions. Au milieu de centaines de vinyles éclairés de lumières douces, les deux amis commentent les dernières rééditions : « Les OJC [Original Jazz Classics] sont très bien, il y a un Miles, un Bill Evans… Ils ont bien bossé ». Dominic, venu d’abord pour discuter, repart avec trois vinyles sous le bras.

Les cuivres de Sahib Shihab et consorts n’ont pas toujours rythmé la vie du gérant. Une jeunesse rock, comme l’exigeait l’époque, puis des passages par le punk, le funk, la soul… Jusqu’à ce que sa femme développe son goût pour le jazz. Il a revendu sa collection personnelle de vinyles, très fournie, pour financer l’ouverture de son magasin. « Ma collection est là maintenant », montre-t-il d’un geste de la main vers les étagères chargées de ces « galettes noires ».

« Je ne bosse qu’avec des morts »

Au sein de Sam Records, son label de jazz lancé en 2011 (dont la boutique tient le nom), Frédéric Thomas travaille sur les enregistrements de sessions parisiennes, concerts, radios ou studios, des décennies 50 à 70. Une époque où de nombreux jazzmen d’outre-Atlantique jouaient à Paris, certains fuyant la ségrégation. Le contemporain, la musique « live » d’aujourd’hui, ça n’intéresse pas le gérant : « Aujourd’hui, le jazz est une affaire de techniciens, de musiciens de conservatoire… » Avant de résumer en riant : « Je ne bosse qu’avec des morts. »

Son but est simple : retrouver les vieilles bandes magnétiques, premières versions d’enregistrements de sessions, à partir desquelles il fait des rééditions vinyles les plus fidèles possible. Il utilise par exemple les « ressources de l’INA [archives nationales] ou les bandes-son des vieilles émissions d’Europe 1 comme l’incontournable ‘‘Pour ceux qui aiment le jazz’’, de Daniel Filipacchi et Frank Ténot ». Beaucoup de ces archives sont détériorées, détruites, volées… Celles qui restent, sortes de récompenses, offrent une « qualité rare ». Un détail qui compte pour la clientèle spécialisée, prête à mettre le prix (un vinyle coûte en moyenne 30 euros).

Le magasin compte plusieurs centaines de vinyles, « collection personnelle » de Fred (© Constantin Jallot)

Pour gagner sa vie, Frédéric Thomas a trois jobs. La boutique et le label où il travaille seul, et la photographie, pour une agence spécialisée… Résultat, il court après le temps : « je ne suis jamais dans les clous », sourit-il. Pas le temps donc de se faire connaître. Les clients d’ailleurs viennent rarement au magasin par hasard : « la moitié sont des étrangers, et les trois quarts connaissent déjà mon label ». Seul le compte Instagram égrène de rares publications depuis l’ouverture de la boutique, il y a un an et demi. Il se soucie peu de ce qui se passe au-dehors de son magasin, dont l’emplacement est d’abord pratique : « j’habite à cent mètres et le loyer est abordable. »

Si Frédéric Thomas explore le jazz comme une vieille affaire classée, pas question pour autant de s’enfermer dans le passé avec ces noms illustres, Tina Brooks, Kenny Dorham, John Wright Trio… Sa boutique vitrine du jazz & blues, pas encore rentable, lui permet surtout d’échanger de vive voix avec ses clients, comme avec « ces touristes qui sont passé de la gare au magasin avant même d’aller déposer leurs valises… » Des contacts qui apportent une touche vivante à son travail d’embaumeur du jazz.

Constantin Jallot