Aux Jardins d’Éole, un petit déjeuner quotidien pour les migrants

Ce mardi matin à Stalingrad, dans le 19e arrondissement de Paris, l’association Petits Déjeuners Solidaires organise sa distribution alimentaire. Un rendez-vous quotidien devenu inévitable pour les migrants et sans-abri du quartier.

Dans le quartier de Stalingrad, un petit déjeuner solidaire est distribué tous les matins. (©Meïssa Guèye)

Dans le froid et la nuit, Isaac est l’un des premiers arrivés aux Jardins d’Éole. Presque caché sous la capuche de sa doudoune, ce quadragénaire vient chercher un café et de quoi manger. Le coup d’envoi du petit déjeuner est à peine lancé que déjà, une file d’attente se forme à l’entrée du parc. Près du conteneur où sont conservés les stocks alimentaires et le matériel, chacun s’affaire à sa tâche. Christine, trésorière du collectif, veille à ce que tout le monde puisse bénéficier d’une boisson chaude.

Depuis sa création, en 2015, l’association propose une distribution alimentaire tous les matins de 8h à 10h. Une initiative née de la mobilisation des habitants face à l’afflux de réfugiés dans le quartier. Venus pour beaucoup d’Afghanistan, du Soudan ou encore d’Erythrée, ils sont une majorité à dormir dans la rue. A l’instar de ses camarades de table, Isaac ne parle pas français. Et il est ravi de ne pas avoir à le faire pour profiter d’un repas. Du pain, seul ou avec de la confiture, des sandwichs et quelques viennoiseries. Pour la plupart, des invendus que le collectif Petits Déjeuners Solidaires récupère dans les boulangeries et petits commerces du quartier.

Tous les jours, toute l’année

« With milk ? » (« avec du lait ? ») répète en boucle Lola dans un accent imparfait. C’est avec ces seuls mots que la bénévole échange avec la plupart des réfugiés. L’idée n’est pas d’initier la conversation, mais d’assurer un service continu. Entre deux cafés au lait, elle se frotte les mains pour les réchauffer. « J’ai froid, confie-t-elle avant de se reprendre. Puis je pense tout de suite à eux et je me sens bête ». Cette pâtissière de 27 ans distribue le petit déjeuner trois fois par semaine. L’occasion de partager un moment de sociabilité avec ceux qui le souhaitent. Ou de s’en tenir à de brèves paroles avec ceux qui préfèrent récupérer leur repas en silence.

Ne pas avoir à sauver la face, c’est ce que qu’apprécie Ali. Arrivé en France il y a trois ans, ce jeune afghan est souvent resté plusieurs jours sans manger. Les sourcils froncés, il accuse le coup : « J’avais l’impression de devoir prouver aux gens que je ne suis ni dangereux ni drogué pour qu’ils acceptent de me donner quelques pièces ». L’impression d’être déshumanisé, il a tenté sa chance dans d’autres quartiers de la capitale. Sans grand succès : « De toutes les initiatives solidaires où je suis allé, c’est celle-ci la plus constante. »

Une baisse de fréquentation en hiver

Petit à petit, la file d’attente s’amenuise. Un peu plus d’une centaine de petits déjeuners servis en une matinée. C’est deux à trois fois moins qu’en septembre. Christnel, bénévole depuis cet été, en fait le constat. « En octobre, la préfecture a évacué le camp [de migrants] sous le pont de Stalingrad. Forcément ça fait beaucoup de gens en moins d’un coup », raconte l’étudiant. La 25e opération du même type en 2023. Pour un total de 4300 personnes mises à l’abri depuis le début de l’année. Moins de personnes dans les rues. Mais pas forcément moins de monde dans le besoin.

Ibrahim, machiniste de théâtre, vient à la distribution tous les jours depuis quatre ans. (©Meïssa Guèye)

C’est en tout cas l’avis d’Ibrahim, sans-abri dans le quartier depuis 4 ans. Gobelet dans une main et morceau de brioche dans l’autre, ce machiniste au théâtre Grand Parquet discute avec les bénévoles qu’il connait bien. « Avec l’hiver, les absents ont dû trouver une place en centre d’hébergement », explique-t-il avec un léger sourire. Mais pour cet habitué de 47 ans, les solutions provisoires ne règlent pas le problème de l’extrême précarité.

Une fois les beaux jours de retour, il sait que les rues seront de nouveau pleines. « C’est un système qui réinsère mal les gens. Résultat, notre situation ne change pas et la galère recommence », regrette-t-il. Faute de pouvoir se raccrocher à des perspectives encourageantes, Ibrahim s’en va aider les bénévoles à tout ranger. Sa seule certitude quant à demain ? Un café. Même endroit, même heure.

Meïssa Guèye