Au Bouillon Julien, les jeunes trouvent une alternative aux fast-food

A la sortie du théâtre, après une pinte de bière ou avant d’aller en boîte de nuit, les habitués de Strasbourg-Saint-Denis défilent devant le Bouillon Julien. Cet établissement emblématique du quartier, ouvert jusqu’à minuit, attire les étudiants avec un petit budget.

A l’intérieur du Bouillon Julien, un décor somptueux symbole de l’Art nouveau, classé monument historique depuis 1997. Crédit : Art Nouveau style

« Il y a que 15 minutes d’attente, venez les gars, on y va ! » Emmitouflés dans leurs doudounes, des étudiants de l’ESCP (École supérieure de commerce de Paris) s’ajoutent à la queue des gourmands qui attendent devant le Bouillon Julien. Cette institution située au 16 rue du Faubourg Saint-Denis a rarement une file d’attente aussi courte. Le maître mot de cette brasserie, ouverte depuis 1906 : « beau, bon et pas cher ». 

A l’origine, les bouillons sont des cantines ouvrières. Le concept naît à Paris, au milieu du XIXe siècle, quand un boucher, Pierre Louis Duval, décide d’utiliser les moins bons morceaux de la viande pour proposer un bouillon bon marché.

« Pas cher » et plutôt rapide

Le prix, c’est d’abord ce qui a décidé ces étudiants venus « manger et boire pas cher », avant de sortir en boîte de nuit. Œufs-mayo à 4 euros, brandade à 10 euros… Cela reste moins abordable que la plupart des fast foods. Mais le « bon rapport qualité-prix » de l’établissement a mis ce groupe d’accord pour en faire son repaire. « On se retrouve toujours dans le quartier parce que c’est là qu’il y a les bars pas chers et les bouillons », s’enthousiasme Nine en soufflant dans ses mains pour se réchauffer. A proximité, on trouve aussi les Bouillons République et Chartier. La jeune habituée sait déjà ce qu’elle va prendre : « Des escargots, ils sont trop bons ! ».

Son ami Alexandre, lui, n’est pas encore décidé. Il jette un coup d’œil à la carte devant le restaurant, pour se rafraîchir la mémoire, mais il n’est pas inquiet : « Je sais que ça sera des bons plats dans tous les cas. Et puis c’est un vrai resto, ça change des sandwichs ou des burgers. »

« Bon » et bien situé

Amaury, jeune employé dans la finance, prend place dans la queue pour cette même raison. « C’est une bonne alternative si on veut manger autre chose qu’un kebab à des horaires décalés », explique-t-il. Seul reproche : la « queue de malade » qu’on trouve souvent devant le restaurant. « Avant c’était beaucoup du bouche-à-oreille, maintenant c’est devenu hyper hype », regrette Amaury. Mais c’est une des seules options qu’il a trouvée pour manger à la sortie du théâtre avec sa copine Jeanne. « J’étais morte de faim après la pièce, plaisante celle-ci, la main sur le ventre, donc on est venus là comme on sait que c’est ouvert tard et que c’est bon. »

Les théâtres, particulièrement concentrés dans le quartier (Théâtre Libre, Théâtre de la Porte Saint-Martin, la Scala…), amènent une clientèle importante. « On est un des seuls bouillons où il est possible de réserver, parce qu’on fonctionne beaucoup avec les théâtres », explique Axel, un responsable du restaurant. Seul créneau de réservation possible : entre 18h30 et 19h. « Les clients peuvent manger rapidement avant d’aller voir leur pièce », se réjouit-il. Au milieu des touristes, les jeunes représentent une part importante de la clientèle, se félicite Axel. « Pour bien manger sans se ruiner, ils choisissent de plus en plus la solution du bouillon. »

« Beau » et souvent improvisé

Le responsable écrase sa cigarette et retourne à l’intérieur. La pause est terminée, pas le temps de se reposer. « Normalement on ferme à minuit, mais souvent on est obligés de rester plus longtemps tellement il y a du monde. » L’établissement n’a pas de mal à remplir ses 170 couverts. Le succès est d’ailleurs national. Après la disparition de plusieurs bouillons, le concept connaît une renaissance dans toute la France. A Paris, avec le Bouillon Pigalle, mais aussi à Grenoble, Lille, Dijon, où des restaurants ont ouvert ces dernières années.

A l’intérieur du restaurant, un décor somptueux symbole de l’Art nouveau, restauré en 2018. La salle est classée monument historique depuis 1997. Un argument supplémentaire pour convaincre la jeunesse de Strasbourg-Saint-Denis. Lorenzo, musicien habitué du lieu, va faire découvrir le restaurant à son amie Kelly : « Le Bouillon, ce n’est pas que l’assiette, c’est aussi un lieu magnifique ! » En train de boire un verre dans le quartier, ils n’avaient pas prévu de finir au restaurant. Mais Lorenzo se satisfait de ce dîner inattendu : « Je sais que je ne vais pas être déçu. De toute façon un Bouillon, c’est toujours improvisé ! »

Solène Alifat