A Magenta, la guerre du boulevard des mariées

Au centre du Xe arrondissement de Paris, le boulevard Magenta est connu pour être le repaire des boutiques de robes de mariées. Mais entre l’inflation et la montée des achats en ligne, la clientèle les délaisse. La tension monte entre des enseignes plus concurrentes que jamais.

Des robes de mariées attendent d’être choisies. Photo : Angélina Mensah

« Ici, c’est chacun pour soi. » Sonia grogne en écrasant sa cigarette, les yeux rivés sur la boutique d’en face. Tous les matins, au 142 boulevard Magenta, à deux pas de Gare du Nord, la vendeuse de la boutique Amelle fume devant l’entrée. De l’autre côté de la rue, Caroline, la gérant​​e d’un autre commerce de robes de mariées, la fixe d’un regard mauvais en arrangeant sa vitrine. 

Les deux femmes ne s’adressent plus la parole depuis que Caroline a accusé Sonia d’avoir copié sa devanture. Une histoire de rancœur comme le boulevard Magenta en connaît bien d’autres ces derniers mois.  La fermeture de la célèbre chaîne discount Tati, en 2021, a rendu l’artère moins attractive qu’avant. Après une sortie de crise sanitaire difficile, les boutiques peinent à se relever et accusent de plein fouet l’inflation. Autrefois un atout, la concentration des boutiques vire au cauchemar. 

Incivilités et compétition déloyale

De la robe importée en polyester aux robes de créateur brodées à la main, il y a de tout, boulevard Magenta. « On a tous notre particularité, précise Sonia, mais on est tous des revendeurs. On peut avoir des robes prêtes et customisées en une journée, ce qui est très rare. » Jusque dans les années 1980, il n’y avait que quelques boutiques de sur-mesure. Les clientes devaient s’y présenter un an en avance.

Puis, la popularité de ces magasins a décollé. « On est très avantagés par notre proximité aux grandes gares, confie Sandrine, vendeuse à l’Empire du mariage, qui possède sept boutiques haut de gamme sur le boulevard Magenta. Nos clientes arrivent directement ici en descendant du train et viennent de toute l’Europe. » Pour les attirer, les enseignes se livrent désormais une concurrence féroce. « Une fois, un voisin est littéralement entré dans ma boutique pour me piquer des clients sous mon nez. Il leur faisait des offres alors que j’étais juste là ! »

Jacob travaille au boulevard depuis 42 ans et espère finir sa carrière ici. Angélina Mensah/IPJ News

Inflation et vente en ligne

Rien ne dit que la situation s’apaise à court terme. Jacob, vendeur au Sunshine, n’est pas sûr que le boulevard puisse se relever de la crise qu’il traverse. « Je suis ici depuis 42 ans et je n’avais jamais vu aussi peu de monde, soupire-t-il en secouant la tête. Avant on vendait facilement quatre robes même les mauvais jours. Maintenant, on est contents quand on en vend une…» 

Si l’inflation et la baisse du niveau de vie ne sont pas étrangères à la situation, le vrai coupable est la vente en ligne, à en croire le commerçant. « Avec le confinement, les clientes ont pris l’habitude de tout acheter sur des sites de fast fashion. Elles ont perdu celle d’aller en boutique. »   

Sa collègue Soraya acquiesce. « Les mariées n’ont plus le même budget. On est passé d’environ 800 euros à 300 euros. » Les robes demandées sont plus simples et les cérémonies s’organisent en plus petit comité. Certaines clientes vont jusqu’à marchander les robes et, en cas de refus, leurs rivaux en profitent pour s’immiscer. Les deux collègues regrettent que la mauvaise ambiance entre les boutiques du quartier desserve autant les clients que les vendeurs. Pour Jacob, cette guerre des prix ne profite à personne. Mais elle montre au moins que les commerçants de Magenta sont prêts à s’accrocher coûte que coûte à leur business, en dépit des temps difficiles.  

Angélina Mensah